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Visiteurs à Spa > L'Avant-Coureur spadois

N° 2. Deux « Bluestockings » à
Spa en 1763: Elizabeth Montagu
et Elizabeth Carter.
1
re partie : les personnages
et leur hôtel


Par DANIEL DROIXHE

On croise dès les premières pages de la liste des « Seigneurs et Dames » ayant séjourné à Spa en 1763 deux noms noms familiers dans le registre des « gender studies ». Accompagnant Monsieur Montagu, « Membre du Parlement d’Angleterre », sont enregistrées son épouse et une « Mademoiselle Carter, Dame Angloise ». Tous logent au Roi de Prusse, au n° 19 de la « Grande Place ». Dans Les rues et les enseignes de Spa, A. Body fait remonter à 1739 la première attestation de l’appellation[2]. Il donne comme propriétaire de l’établissement Jean-Noël Talbot en 1760 et sa veuve, de 1772 à 1785. Ambroise Talbot le possédait encore à la fin du siècle. La maison portera le n° 187. La version informatique du Plan Caro nous apprend en outre qu’elle figurera au début du XXe siècle sous le n° 2 du  boulevard des Anglais. Body ne mentionne pour l’établissement aucun hôte particulièrement remarquable.


Liste des seigneurs & dames, qui sont venus à spa l'an 1763, p. 6.

 « Monsieur Montagu » désigne Edward Wortley Montagu (1713-1776), membre du Parlement d’Angleterre, de tendance whig.  Son épouse n’est autre que la célèbre Elizabeth Montagu (1718 ou 1720-1800), née Robinson,  écrivaine et féministe consacrée « Queen of the Bluestockings », « Reine des Bas-Bleus ». Cette dernière se présente comme suit dans l’ouvrage de Brian Dolan intitulé Ladies of the Grand Tour (2001)[2] :

Fille de Thomas Robinson et Elizabeth Duke. Elle fut éduquée à la maison, d’abord par son père mais ensuite par le Dr. Congers Middleton (« le meilleur juge de la prose du jour », selon Alexander Pope). En 1742, elle épousa un homme presque trente ans plus âgé qu’elle, Edward Montagu d’Allerthorp, le cinquième fils du 1er comte de Sandwich. Leur seul fils mourut lorsqu’il était enfant. A la mort de son mari en 1774, elle hérita de biens importants, qui comprenaient une propriété à Sandleford, dans le Berkshire, qui fut reconstruite en style gothique à la suggestion de son ami Horace Walpole, et elle fit également édifier la Montagu House à Portman Square, à Londres. En tant que « Reine des Bas-Bleus », elle était une « femme d’esprit » très admirée, ce qui conduisit le Dr. Beattie à écrire : « J’ai connu plusieurs dames dans le domaine littéraire, mais elle les dépassait toutes ; et dans la conversation, elle avait plus d’esprit que toute autre personne, masculine ou féminine ». Son ouvrage le plus significatif était un Essai sur les écrits et le génie de Shakespeare (1769), mais elle contribua également aux Dialogues des morts de Lord George Lyttleton (1760). Elle était connue comme philanthrope et organisait en mai un dîner pour les ramoneurs de Londres. Elle mourut d’un « évanouissement », apparemment provoqué par un « usage immodéré d’eau de luce ».

L’Encyclopédie définit l’eau de luce comme une « liqueur laiteuse, volatile, très-pénétrante, formée par la combinaison de l’esprit volatil de sel ammoniac, avec une petite portion d’huile de karabé ».  Il est précisé : « L’eau de luce n’a de vertus réelles que celles de l’esprit volatil de sel ammoniac, tant dans l’usage intérieur que dans l’usage extérieur. La très-petite portion d’huile de succin qu’elle contient, ne peut être comptée pour rien dans l’action d’un remède aussi efficace ».



Elizabeth Montagu en bergère. Dessin de Frances Reynolds gravé par C. Townley. D’après Ellen et Jim Have, « ASECS, Portland: Women's writing & landscape art · 3 April 2008 »
(http://www.jimandellen.org/conferencesblog/869.html)

On a vu qu’au Roi de Prusse logeait également une « Mademoiselle Carter », autre figure de proue du mouvement féministe anglais. Br. Dolan dresse le portrait d’Elizabeth Carter (1717-1806)[3].

Elle apprit le grec, le latin et l’hébreu de son père, le Révérend Dr. Nicholas Carter. Elle se lia d’amitié avec Samuel Johnson et contribua à son périodique The Rambler. Elle était l’auteur de Poèmes pour des occasions particulières (1738), d’une Ode à la sagesse (1761) et elle traduisit en 1758 les œuvres complètes d’Epictète. Elle avait pour amis intime d’autres bas-bleus, dont Catherine Talbot et Elizabeth Montagu. Elle ne se maria jamais et était connue pour prendre du tabac à priser pour se tenir éveillée pendant de longues heures d’études.

Un portrait que l’on date entre 1735 et 1741 la représente en effet en Minerve, déesse de la sagesse.  Elizabeth Carter avait ajouté aux Poems dont il est question ci-dessus, pour mériter dès cette époque une telle consécration, la traduction anglaise de l’Examen de l’Essai sur l’homme de Pope dû au Suisse Jean-Pierre de Crousaz, en 1739. Un autre tableau, malheureusement fourni sans précisions d’auteur ou de date, la montre en compagnie d’autres bas-bleus[4]. Comme les images en disent autant, parfois, qu’une longue biographie pour suggérer une réputation, on voudrait pouvoir reproduire ici la célèbre la maison où elle vécut jusqu’à sa mort, à Deal, dans le Kent[5]. Celle-ci fait l’objet d’un véritable culte.



Elizabeth Carter dans un cercle de féministes, où elle figure à l’extrême gauche.

Parmi les visiteurs dont la présence est signalée par la Liste des Seigneurs et Dames pour 1763 figure, sur la même page que le trio Montagu-Carter , « Milord le Comte de Bath, Pair de la Grande Bretagne ». Celui-ci s’installe au Dauphin, rue de la Grande-Place, n° 23, en face du Roi de Prusse (n° 19).

L’hôtel était désigné par une autre référence dans un document du 17e siècle que mentionne Body  : il était dit « proche le pont de pierre, au devant du Mouton blanc ». Ce dernier, précise l’historien , se présente comme  « l’une des plus célèbres et des plus importantes auberges du bourg ». Il nous est aujourd’hui particulièrement utile pour localiser le Roi de Prusse et le Dauphin, puisque l’immeuble existe encore. Figurant dans le plan Caro sous le n° 17 de la liste « Grande Place », dont on a vu l’extension approximative dans la première livraison de l’Avant-Coureur spadois, la maison enseignée au « Mouton blanc » occupe aujourd’hui le n° 62 de la rue du Marché. Body situe pour sa part ainsi l’hôtel du Dauphin: « Lu Dâphin, comme on l’appelait en wallon, formait le coin des rues du Marché et du Bohy (Entre -les-Ponts). L’enseigne servit de surnom au peintre Ant. Le Loup, qu’on ne désignait pas autrement. N° 236 ».

L’immeuble appartenait au 18e siècle à la famille Storheaux.  De 1760 à 1772, il était la propriété de « l’échevin Storheaux », qui la tenait de Guillaume (1735) et à qui allait succéder se veuve. Il fut détruit en 1865 « pour l’ouverture du boulevard des Anglais ». Body note encore : « On trouve dans la liste de 1765 : au Dauphin d’or couronné, sans autre désignation. Peut-être s’agit-il de la même enseigne ? ».

On  verra dans quelles circonstances le comte de Bath s’ajouta au groupe, après que celles-ci aient un moment remis en question sa participation au voyage.

(À suivre)


NOTES

[1] P. 253-254.
[2] London : HarperCollins, 2001 – Paperback ed., 2002, p. 292. Titre qu’elle a pour ainsi dire reçu de divers ouvrages biographiques :  E. J Climenson. Éd. Elizabeth Montagu, the queen of the bluestockings, her correspondence from 1720 to 1761. London : John Murray, 1906 –  Vol. 1, Cambridge Univ. Press, 2011 (Cambridge Library Collection); R. Blunt, Mrs. Elizabeth Montagu « Queen of the Blues », her letters and friend-ships from 1762 to 1800. London: Constable, [1923]; voir aussi http://en.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Montagu.
[3] Op. cit., p. 289.
[4] http://en.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Carter.
[5] http://www.flickr.com/photos/bushmonkey10443/5821378822/. Le cliché est protégé par une licence.
[6] Op. cit., p. 255.
[7] Op. cit., p. 253.
[8] Le Patrimoine monumental de la Belgique en fournit la notice et la photo : Province de Liège / Arrondissement de Verviers, tome 3 (M-S). Vol. 123, Liège : P. Mardaga, 1985, p. 1243.



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