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La correspondance
du chevalier de Fassin
et de François Tronchin


Par DANIEL DROIXHE

La Bibliothèque de Genève  conserve sous les cotes Archives Tronchin 190, n° 75-77 et Archives Tronchin 191, ff., 187-239 deux séries de lettres adressées par le chevalier de Fassin à François Tronchin , de 1771 à 1792. Dans un courrier que m’adressait en mars 2008 mon vieil ami Bernard Wodon, celui-ci me rappelait qu’il avait obtenu copie de cette correspondance lors de son séjour à Genève en 1978. Il y précisait que Monsieur P.-Y. Kairis était en possession du document, dont Monsieur L. Engen m’a aussi demandé récemment la communication. Madame Christine Touron, Archiviste assistante au Département des Manuscrits de la Bibliothèque de Genève, a bien voulu se charger d’en faire réaliser la copie à mon intention.

Le regretté Jean Yernaux, Conservateur honoraire des Archives de l’Etat à Liège,  avait rédigé une excellente notice consacrée au chevalier de Fassin, dan s son Dictionnaire des peintres liégeois du moyen âge à la fin du XVIIIe siècle. Jacques Stiennon a eu la bonne idée de publier celui-ci en Supplément au Bulletin trimestriel de la Société Libre d’Émulation. La notice figure au n° 2/1990-1991, p. 110-111. On n’en rappelle que les grandes lignes, en reproduisant plus précisément ce qui concerne notre propos.

Nicolas-Henri-Joseph de Fassin est né à Liège le 20 avril 1728. Son père appartenait au cercle du pouvoir principautaire, en tant que bourgmestre et échevin de Liège, puis comme « premier ministre du prince-évêque Georges-Louis de Berghes ». Le jeune homme était destiné à la magistrature, mais son goût pour les beaux-arts l’attirèrent dans l’atelier  de Jean-Baptiste Coclers. Un début de carrière militaire parmi les mousquetaires gris du roi de France ne lui laissa que le dégoût de la vie sous les armes. Il gagna dès lors Anvers pour y étudier à l’Académie  les maîtres de la peinture flamande — une expérience qui va trouver un écho dans ses lettres à François Tronchin.

À 40 ans, il faisait le voyage de Rome, où il se forma à la peinture de paysages.

Son amour de la nature le détermina ensuite à parcourir la Savoie et la Suisse. C’est au cours de ce voyage qu’il séjourna à Genève. Sa réputation comme peintre d’animaux et de paysage commença à se fonder dans cette ville où il fut reçu par M. de Tronchin, qui possédait une galerie remarquable dans laquelle dominèrent les meilleurs tableaux de Both et de Berchem. (…) Pendant son séjour à Genève, il exécuta, pour l’impératrice Catherine de Russie, un paysage dont la souveraine se montra charmée. Ce succès lui valut une lettre autographe de la princesse, qu’accompagnait une tabatière en or, garnie de brillants. Le peintre profita aussi de son séjour à Genève pour faire visite à Voltaire qui résidait alors au château de Ferney. Le clèbre philosophe permit à l’artiste liégeois de faire son portrait. Cette toile qui a été conservée, représente le personnage en robe de chambre et en bonnet de nuit blanc.

Après des voyages qui emmenèrent l’artiste en Italie, à Rome, puis à Marseille, avec retour à Genève, Fassin revint à Liège en 1770, avant de reprendre à l’occasion  le chemin de Bruxelles et d’Anvers. Lié d’amitié avec Léonard Defrance, ils fondèrent ensemble l’Académie de peinture, de sculpture et de gravure de Liège, sous le patronage du prince-évêque Velbruck.  La fréquentation de la belle société spadoise lui permit aussi de nouer d’avantageuses relations. La période de la Révolution, aux idéaux de laquelle il adhéra, fut loin d’être « la moins féconde », souligne Yernaux.  Celui-ci mentionne, parmi les pièces du peintre conservées à Liège, le Portrait de Voltaire appartenant à Gustave de Mélotte ; le Portrait de Fassin par lui-même conservé à l’Université de Liège ;  la Jeune femme buvant une tasse de café de l’ancienne collection de M.G. van Zuylen (Liège, 1905). On a noté que cette dernière œuvre, copie d’un tableau de Johann Heinrich Wilhelm Tischbein, représentait en fait une « buveuse de thé ».

François Tronchin était en effet un important collectionneur genevois : ami du peintre Jean-Etienne Liotard, il vendit une partie de sa collection, particulièrement riche en tableaux hollandais et allemands, à Catherine II. Né en 1704, il fut avocat au Conseil de Genève – celui-là même qui condamnera l’Emile et le Contrat social — et fonda  la banque François Tronchin et Cie. Cousin du célèbre Théodore Tronchin, que célébra Voltaire, il accueillit ce dernier dans son château des Délices en mars 1755. Voltaire y demeura jusqu’en  octobre 1760, période pendant laquelle il se fit l’écho de deux grands événements: le tremblement de terre de Lisbonne,  survenu le 1er novembre 1755, et la Guerre de Sept Ans, commencée en 1756, qui sert de décor à Candide, achevé  aux Délices à la fin de 1758 (voir  http://www.ville-ge.ch/bge/imv/).

La correspondance avec le chevalier de Fassin s’inscrit dans le prolongement de la vente à Catherine II, réalisée en 1770. François Tronchin, auquel on doit des tragédies, notamment sur Marie Stuart, et des réécritures de Corneille, est décédé en 1798.

On n’a pas cru nécessaire de conserver l’orthographe et la ponctuation originales, dont on signalera à l’occasion les points d’intérêt, s’il est opportun.  Les fautes d’orthographe dans les noms communs, chez Léonard Defrance, offrent un sens parce qu’elles figurent dans les tableaux. On a aussi établi des alinéas que ne comporte pas le texte, afin d’en faciliter la lecture.

J’ai bénéficié, pour la rédaction des premières notes concernant ce début d’édition des lettres de Fassin, de l’amicale collaboration de Jean-Daniel Candaux, le spécialiste bien connu de l’histoire genevoise.

Lettre 1

9 mars [1771]

Monsieur Tronchin
Aux Délices

mon bon ami,

je suis bien charmé d’apprendre tout ce que vous me dites de Mr St Ours. Je me rappelle très bien la petite structure, qui vérifie très bien le proverbe : que dans les petites tailles, toutes les bonnes épices. Mais l’ouvrage et le temps qu’il a mis à son tableau me font trembler. Je vous avoue qu’il faut avoir une patience que je ne connais pas. Comment voir tous les jours devant les yeux le même tableau pendant deux ans. C’est un don sans doute que cette patience ; Raphael l’avait ; Rubens ne l’avait pas, et c’est ce qui fait la variété dans les ouvrages. Je  vois avec plaisir a quel point votre Cabinet est augmenté ; mais j’en aurais bien davantage si je pouvais  le voir et embrasser le possesseur. J’ai écrit à Bruxelles à un ami pour savoir s’il pourrait  découvrir l’estampe de votre Rubens, et des autres tableaux. Je ne saurais jamais dire au juste ce que le Tableau de Quellin a coûté ; tout ce que j’en sais, c’est que je le trouvais si bon marché que je dis à Mr Tronchin que s’il ne l’achetait pas, / [2] je l’achèterais.  Je crois en m’en souvenant confusément que ce ne fut qu’une dizaine de louis, enfin une vraie bagatelle, et bien certainement Quellin, l’auteur du réfectoire de St-Michel à Anvers, ne l’avait pas fait à ce prix. 

Mais j’ai remarqué que dans les Pays-Bas, et surtout à Anvers, en fait de tableaux d’histoire, ils n’attachent un grand prix qu’aux Rubens et Van Dyck, quoiqu’il il y ait eu bien d’autres grands artistes, bien au-dessus de plusieurs modernes qu’on paie très chers. Quelle en est la raison ? Je ne la connais pas. Je me souviens qu’étant à Anvers avant d’aller à Rome, j’étais à une vente des dessins de différents maîtres qu’on avait rangés par paquets. J’en vis vendre à des prix fous où il y avait quelques carreaux de papier à lettre avec de l’écriture de Rubens sans dessins.

Votre petit neveu se ressouviendra sans  doute d’avoir vu à l’académie d’Anvers la vieille chaise de Rubens sur laquelle nous nous sommes assis, et qui est presque toute vermoulue. On dit qu’un Anglais en a présenté cent guinées, mais on ne l’aurait à aucun prix. S’il n’y a pas un peu de folie, il y a du moins une vénération trop outrée.
Je vous prie de présenter mon respect à votre aimable nièce. Mille amitiés au petit neveu et croyez-moi à jamais
          votre vrai et bon ami
                       Le chr de Fassin.


Commentaire


On connaît plusieurs artistes genevois nommés Saint-Ours. L’allusion à la « petite structure » dont il est question ici, ainsi que la référence au proverbe « dans les petites tailles, toutes les bonnes épices », paraissent renvoyer à l’un des peintres sur émail portant ce nom. On mentionne surtout un Jacques Saint-Ours actif dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. J.-D. Candaux nous promet des informations complémentaires à ce sujet.

Les Quellin forment une famille d’artistes anversois du XVIIe siècle dont le plus connu est le peintre Erasme Quellin, dont on conserve aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles de « petits modèles » destinés à la réalisation de tapisseries. C’est peut-être à ce genre de production que renvoie l’indication relative au prix modéré du « Tableau de Quellin », infiniment moins cher qu’un Rubens – dont Quellin fut le collaborateur et dont les peintures sont prisées du public.

J.-D. Candaux a bien voulu nous communiquer les informations suivantes concernant le « petit neveu » dont il est question dans le dernier paragraphe. De l’examen très détaillé qu’a fourni notre ami genevois, il ressort que deux « petits-neveux » du destinataire de la lettre, du côté de la branche des Tronchins, pourrait ici se trouver désigné — mais leur âge rend l’identification pour le moins problématique.

« François Tronchin des Délices (1704-1798) est devenu en 1736 l’époux de Marie-Anne Fromaget (1713-1788), fille d’un riche banquier huguenot de Saint-Quentin, et s’est trouvé par là « apparenté à toute une bourgeoisie protestante de Paris et de province, les Dargent, Gastebois, Houssemaine, Perrinet, Poupart et Tassin » (Lüthy, Banque protestante, II, 187).  Son petit-neveu pourrait donc être un petit-neveu par alliance, mais dans ce cas, je ne puis vous renseigner davantage, car je ne sais rien de la généalogie Fromaget. En revanche, du côté Tronchin, la situation est la suivante (selon J.A. Galiffe, Notices généalogiques sur les familles genevoises, Genève, 1982, t. II, deuxième éd., p. 863 et suiv.).

François Tronchin est le cadet de quatre frères. Le n° 3, Jean-Robert (1702-1788), le banquier de Voltaire devenu fermier-général, est mort sans alliance ni descendance. Le n° 2, Louis (1697-1756), pasteur et professeur, a eu quatre enfants d’Elisabeth de Waldkirch son épouse, mais aucun des quatre ne s’est marié et il n’y avait donc ni petits-enfants ni petits-neveux de ce côté-là.

Le n° 1, Pierre (1694-1769), a eu deux enfants de son épouse Catherine Armand : 

1) Une fille, Catherine, née en 1730, épouse en 1765 de Rodolphe de Loriol. Ceux-ci ont eu une fille et trois fils.Lle premier-né est  Pierre-Charles de Loriol, né le 24 novembre 1766, époux en 1798 de Madeleine de Gingins d’Eclepens, mort à Crassier le 10 octobre 1848.

2) Un fils, Jean-Armand (1732-1813), ministre de la République de Genève à Paris, époux en 1761 de Jeanne-Louise Labat de Grandcour. Ceux-ci ont eu un enfant : Jean-Louis-Robert Tronchin, né le 23 janvier 1763, avocat au barreau de Genève 15 août 1783. On possède de ce dernier trois ou quatre lettres, écrites 1785 à son grand’oncle François Tronchin durant un Grand Tour d’Italie et d’Allemagne. Elles sont conservées à la BGE.

Voilà donc quels sont, du côté suisse, les deux petits-neveux de François Tronchin : en 1771, l’un a 9 ans et l’autre 5 ans. »

(à suivre)

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